mercredi, février 24, 2016

Les oiseaux chantent aussi sur les terres alternatives

Il y a des noms comme ça, qui nous font perdre la raison. Tout comme les groupies qui sillonnent le monde à la poursuite d’un beau chanteur, il y en a d’autres comme moi, plus casaniers, qui préfèrent les héros de papier. En flânant dans les allées multicolores de mon dealer de lectures, je suis tombé dessus. La couverture ne payait pas de mines mais il y avait le nom d’un ensorceleur dessus, Terry Pratchett. Il avait écrit un livre en collaboration avec un certain Stephen Baxter : « La longue terre ». Le titre ne m’aurait pas interpelé s’il n’y avait le nom du maitre du burlesque, sorti de sa caverne confortable du disque monde. Je me rappelle une autre collaboration de Sir Terry Pratchett. En compagnie de Neil Gaiman, ils avaient commis l’excellentissime « De bons présages ». Je suis d’habitude septique envers les œuvres collaboratives. Sauf que voilà, Terry Pratchett transforme tout ce qu’il touche en bijou loufoque, subtil alliage de rêve et de poésie. Alors sans plus y réfléchir, ni même jeter un œil à la quatrième de couverture, j’ai dégainé ma carte bleue et me voilà reparti avec de la bonne came sous le bras.
Dès la première page, j’ai senti que quelque chose clochait. Les scénettes d’introduction étaient appétissantes, pas de doute là dessus. Des gens qui se retrouvent coincés ailleurs, dans une réalité ou les hommes apparemment n’existent pas. Sauf qu’il n’y avait dans ces premiers chapitres aucune trace de l’humour caractéristique de Terry Pratchett.

On arrive rapidement au pitch de cette histoire. Notre terre n’est pas la seule réalité. Elle possède une myriade de sœurs jumelles. Un savant mystérieusement disparu a publié sur Internet les plans d’une machine pour naviguer d’une terre à l’autre. L’appareil en question, le « passeur » est très rudimentaire, ses composants principaux sont une pomme de terre et un interrupteur. A chaque fois que l’on actionne l’interrupteur, il propulse son utilisateur dans la terre immédiatement voisine. Dans un sens, à l’est, dans l’autre sens à l’ouest. Mis à part une certaine nausée le voyage est immédiat et n’entraine aucun désagrément.

Pouvoir voyager sur des terres parallèles, c’est déjà assez inhabituel, mais encore plus étrange, dans toutes ces terres l’être humain n’existe pas. Les représentants de la faune et de la flore sont parfois très différents, ayant suivi d’autres couloirs de l’évolution. Parfois les écosystèmes entiers sont chamboulés, les terres se retrouvent immergées, de nouveaux continents apparaissent. Les ères glaciaires côtoient les déserts immenses.

Qui n’a jamais regardé notre terre avec une pointe de désespoir et de honte ? A se dire que notre planète ne se porterait pas plus mal sans l’espèce de bipèdes arrogants qui s’en prétend maitre.

Voilà un sacré thème pour ouvrir un récit de science fiction. Il va falloir être à la hauteur des questions philosophiques et sociétales qui se cachent en embuscade. Et c’est là que le bât blesse, cruellement. Mêmes si des mini-histoires riches en promesses sont distillées au fil des chapitres, la trame principale repose sur un récit d’exploration. Page après page on suit la description souvent monotone des caractéristiques des terres alternatives. Quelle déception !

On devrait clouer au pilori tous ces auteurs qui ont une idée géniale mais qui ne savent pas l’exploiter.

Mais revenons à nos moutons alternatifs. Le narrateur de notre histoire s’illustre très tôt, surtout lors du premier jour du passage.

Avec les plans rudimentaires trouvés sur Internet, des centaines de gamins essayent le fameux passeur. Sans forcément trop y croire, ni prendre quelques précautions. Notre narrateur est l’un de ceux-là. Il devient un héro en ramenant ses camarades de l’orphelinat sains et saufs à la maison.

Passé ce jour, le narrateur se découvre un talent de passeur né. Capable de franchir les réalités sans même l’aide de l’appareil idoine. Dès lors sa vocation sera d’explorer toujours plus loin, et surtout de se retrouver seul.

Au bout d’une trentaine de pages, je commence à m’ennuyer. Notre narrateur est contacté par un mystérieux robot, pour pousser ses explorations dans les terres les plus lointaines. « To boldly go where no man has never gone before » comme dirait le prétentieux capitaine Kirk. Bof, comme intrigue. Surtout avec ce couple formé par ce robot qui sait tout faire mais qui manque d’humanité (tient, qui a parlé de Spock ?) et cet humain trop curieux, ça sent le réchauffé.

Il y a pourtant quelques bonnes idées, dans les histoires qui gravitent autour de la trame principale. Comme la disparition de la notion de secret. Il n’est pas beaucoup de pièce fermée ou de coffre dans laquelle on ne puisse s’introduire en passant par une réalité adjacente. L’argent n’est plus un problème, car les ressources existent en quantité désormais infinies sur les autres mondes. Tout comme les problèmes de logement, il y a désormais de la place pour tous. Comment faire régner la loi lorsque les criminels peuvent si facilement s’enfuir ou commettre leurs larcins dans une infinité de mondes.
Oui le livre aborde toutes ces questions passionnantes. Mais il papillonne sans vraiment proposer quelque chose.

Autre chose qui m’a chagriné. Même si ça tient du détail, les auteurs persistent à centrer le récit sur une même unité de lieu et ses réalités alternatives.  Ahh, Madison. Petite ville américaine qui n’a jamais été marquée par la célébrité. Il y a bien une route qui va jusqu’à Madison mais on n’en tire que des mauvais films. Et globalement, de notre côté de l’Atlantique, on s’en fiche un peu.

Il paraît que la Longue Terre n’était que le premier tome d’une série. J’ai été trop déçu pour vouloir embarquer pour la suite. Quel dommage pour Sir Terry Pratchett de quitter ma mémoire avec un tel brouillon. Même en le réchauffant à la bougie des souvenirs, je n’arrive pas à éprouver la moindre tendresse pour ce livre.