lundi, août 15, 2011

Un oiseau sur les cendres et le sel de Sodome

Ils sont sept.
Le premier se raccroche aux souvenirs d’un monde perdu. Dernier rempart face à la méditerranée, Paris a troqué ses atours de ville lumière pour un port ultramoderne.
Les six autres sont partis en quête d’un futur dans un monde nouveau. Les rives d’une mer que l’on croyait morte hébergent une colonie isolée du monde par un océan étrange et par un désert infranchissable.

Entre les deux, il y a le trafic du sel mauve, la richesse de la colonie et le monopole des Soixante-Quinze. La mystérieuse compagnie totalitaire asservi les derniers vestiges de l’ancien monde par la dépendance tandis qu’elle exploite les colons venus trouver la rédemption dans les mines de sel.

Les récits des sept se complètent et se recoupent. Leurs lettres dessinent le portrait d’une société étrange, condamnée à danser sur les ruines de l’apocalypse. Une société lointaine ? D’aucun tenteront d’y voir un parallèle troublant avec les multinationales qui entendent dresser les gouvernements et les hommes au fouet de leur intérêts privés. De la littérature engagée ? Peut-être, en tout cas derrière les mots se cache une réalité qui donne à réfléchir.

Tandis qu’à Paris, la compagnie des soixante-quinze embauche Phileas Book pour démêler l’écheveau d’une énigme épaisse, dans la colonie le gouverneur vient de mourir laissant ses six courtisans dans l’embarras.

Littérature grecque et contemporaine, douce antinomie à mes yeux. Jamais je n’aurais pensé lire un écrivain grec qui n’aie pas passé avec succès l’épreuve des siècles. Et pourtant, un soupçon d’opportunisme, un zeste de curiosité et une bonne dose de chance m’ont fait revoir mes préjugés.
L’initiative de l’éditeur Ginkgo et la masse critique de Babelio m’ont permis de recevoir et de critiquer le livre de Ioànna Bourazopoùlou, Qu’a-t-elle vu, la femme de Loth ?

Derrière la référence biblique, on trouve un récit ambitieux et engagé. Le style, sans être flamboyant déploie des audaces oniriques qui laissent rêveur. Tout au plus on pourra regretter certaines longueurs ou certains méandres trop hallucinés. Quand à la construction de l’intrigue, elle m’a curieusement fait penser à Usual Suspect tant il faut attendre la dernière page afin de comprendre le tableau et son but.

samedi, juin 18, 2011

Triste bande dessinée pour un un photographe

Triste histoire que celle de l'Espagne lors de la guerre civile.
Triste destin que celui de Robert Capa, réduit en cendres, conclusion logique d'un métier de guerre.
Triste revue de lecture que je m'apprête à rédiger.

Une masse critique dédiée à la bande dessinée m'a permis de découvrir Tristes Cendres de Mikel Begoña et Iñaket. Derrière cela se fraye le hasard et un éditeur alléché par l'idée de se faire de la publicité à peu de frais. Mais les quelques euros gâchés à me faire don d'un exemplaire de cette bande dessinée ne suffiront pas à acheter mon enthousiasme. Un livre en échange d'une critique, soit! Je vais donc faire mon job, avec en arrière plan la culpabilité de cracher un peu dans la soupe.

Catégoriquement et définitivement, je n'ai pas aimé ce livre. La quatrième de couverture m'avait pourtant promis beaucoup :
  • J'imaginais me cultiver sur l'époque sombre de la guerre civile espagnole.
  • Je me faisais une joie de découvrir la vie et les images de Robert Capa, sacré plus grand photojournaliste de guerre.
  • Je vibrais face au destin tragique du couple Capa & Taro.
Il y avait tout ça dans le petit résumé, mais rien de plus dans le livre. Pour tout dire, l'histoire dessinée n'a fait qu'attiser un sentiment puissant de frustration.

Une bande dessinée qui ne raconte pas grand-chose c'est déjà malheureux. Tristes Cendres réussit à faire pire, a rendre l'histoire pénible à lire. L'action est le plus souvent confuse, manque de cohérence et de suivi. On voit bien que les scénaristes sont bien documentés et concernés par une tranche de leur histoire. trop peut être...
Robert Capa souffrait d'une rage de dent. On retrouve donc régulièrement dans le récit le personnage du dentiste chargé de donner une certaine légèreté et de l'humour au milieu d'une histoire trop sombre. Prétendument comique, les gags de ce fil conducteur tombent toujours à plat.

Dans une bande "dessinée", l'aspect majeur est souvent l'image. Je n'ai mais aimé le style mais j'imagine que l'affaire est plus question de goût.
Le trait du premier plan est noir, pas de crayonné ou de demi-teinte. Une ligne ferme mais un aspect gribouillé qui me rebute. Pour le néophyte, en l'occurrence moi, ça ressemble plus aux croquis d'un enfant sur un cahier d'écolier qu'au travail d'un dessinateur sérieux.
L'arrière plan est plus intéressant. En bleu ciel il reste plutôt discret mais donne une vraie profondeur à l'image.
De nombreux dessins sont en fait des hommages aux célèbres clichés du photographe. Une recherche rapide m'a permis d'en identifier quelques-uns mais j'imagine qu'un vrai connaisseur de l'œuvre de Capa en trouvera beaucoup d'autres. C'est probablement le seul intérêt de Tristes Cendres.

Sur la dernière image, en bas de page, on trouve un commentaire curieux "Enfin la fin...". C'était également mon sentiment.

lundi, mai 16, 2011

Il était une fois Neverwhere...

Cher monsieur Gaiman,

J’ai bien peur que votre notoriété ne dresse comme un mur entre nous. Tous vos lecteurs, votre fan club, comme il est de bon ton de l’appeler, vous inonde de courriers, tous uniques et pourtant tous semblables.

Je crains que vous ne puissiez trouver le temps de lire cette lettre. Et pourtant, ma missive ne cherche qu’à vous mettre en garde.

Vous tripotez les mythes et les légendes depuis un petit bout de temps. Les jaloux iraient même jusqu’à prétendre que vous en avez fait votre fond de commerce.
Je ne fais pas partie des envieux et j’apprécie sincèrement votre travail, non, je vous écris aujourd’hui pour vous prévenir. Passe encore que l’on chatouille les barbes blanches des vieux décatis de l’Olympe, ils sont tellement sourds qu’ils n’entendent plus rien. Vous pouvez aussi broder sur les rêveurs éternels, ils sont toujours dans les nuages.
Par contre la mythologie urbaine, c’est du sérieux. A force de mettre en lumière les mythes qui souhaitaient rester dans l’ombre, ils en sont venus à vouloir se venger.
Vous avez réédité récemment Neverwhere, cette pittoresque chronique Londonienne. Et vous en avez fâché plus d’un. Un certain marquis, une connaissance commune, ne décolère pas depuis cet affront.

Résumons donc l’affaire. Avec votre plume si savoureuse, vous avez narré l’histoire de Richard Mayhew. Comment cet habitant terne de la ville moderne et polluée de Londres s’est par hasard retrouvé avec une jeune fille mourante dans les bras. Comment sa vie avait basculé. Devenu un fantôme parmi les vivants, il a été contraint de rejoindre le Londres-d-en-bas. Vous en avez profitez pour nous décrire cette terre de légende, invisible au commun des mortels et pourtant si bien entretenue par l’imaginaire collectif.
Vous ne nous avez rien épargné, le marché flottant, Knight bridge, le monastère des moines noirs et même l’Atlantide. Vous nous avez décrit les plus grandes personnalités qui règnent en maître dans ces domaines.

Votre livre est un véritable guide touristique et c’est bien là le fond du problème. Imaginez donc, les gens commencent à parler aux rats, certains guettent la créature sous les quais de métro ou encore attendent le wagon du compte.
Avec tout ça, nos amis ne peuvent être tranquilles. Il finira par y avoir des accidents. Je connais bien le marquis, j’imagine qu’il a trop parlé un soir de beuverie, que votre imagination a comblé les failles de son récit.
Si encore cela avait été mal écrit, mais non, le tout est raconté avec panache, humour et un sens aigu de la tragédie. Au final vous vous êtes fait pas mal d’ennemis, presque autant que de lecteurs.

Heureusement que vous avez mis tout un océan entre vous et votre ancienne patrie. Pour votre sécurité, c’est mieux ! Chasseur a une dent contre vous. Fort heureusement elle est coincée de ce côté de l’Atlantique par sa vilaine blessure à la hanche qui tarde à guérir.

J’ai oui dire que Dame Porte avait épousé en grandes noces ce freluquet soit disant guerrier le 29 avril de cette année 2011. Ils sont tout à leur bonheur et ne pensent pas à vous chercher querelle. Quand aux autres habitants de la Londres-d-en-bas, ils sont bien trop casaniers pour être réellement dangereux.

Mais faites bien attention à vous. Si jamais l’idée vous prend de revenir dans la perfide Albion, ne traînez pas seul tard le soir dans les ruelles désertes, évitez le métro et surtout, surtout, faites attention dans les quartiers trop anciens.

Je vous connais bien, j’ai lu votre bibliographie dans tous les sens. Je me fais bien du souci pour vous. Les mythes prennent également racine sous le soleil de Californie et ce n’est peut-être pas un hasard si vous résidez dans la cité des Angelins. Alors soyez prudent, il serait regrettable que notre époque fataliste et indifférente perde l’un de ses plus grands conteurs.

Bien à vous,
Un petit chaton qui a perdu ses bottes

jeudi, février 10, 2011

Non !

En recevant mon colis tardif par la poste, j’ai failli dire non. Non, je ne lirais pas ce livre. Non, je n’écrirais pas de chronique.

Une fois de plus, j’avais participé à la masse critique en laissant le hasard guider ma sélection. En découvrant dans le petit carton un exemplaire de Tout le monde vous dira non de Hubert Mansion, je me disais que parfois le hasard fait mal les choses. Décidément non, ce livre n’était pas fait pour moi. La faute en revient comme toujours à la quatrième de couverture, à ce petit bout de texte taillé pour décourager l’acheteur potentiel. Le publicitaire en manque d’inspiration prétendait attirer le pigeon en listant les recettes miracles pour réussir dans le monde impitoyable de la musique et du show business.

« There is no business like Show Business »

D’une part l’étendue de ma culture musicale se cantonne à la soupe servie à toute heure sur les radios pop fm pour meubler entre deux pages de pub. Et mes prétentions artistiques sont régulièrement démenties par les séances de torture que j’inflige à ma pauvre guitare. En bref, percer dans le domaine ne faisait pas partie de mes ambitions.

D’autre part, le genre de livres qui décrit comment faire pour réussir m’a toujours paru suspicieux. L’arnaque réussit surtout à enrichir les éditeurs en soulageant le porte monnaie des plus naïfs et des plus crédules.

Un semblant de conscience bénévolo-professionnelle m’a poussé à faire ma part de travail, à lire ce livre pour en faire une critique, fût-elle assassine.

Et puis j’ai lu, j’ai appris, j’ai compris. Notamment que je m’étais trompé sur ce livre. Nulle recette miracle pour faire fortune, la description juste d’un milieu ou les paillettes brillent trop fort.

Ami lecteur, soit prévenu avant d’ouvrir cet ouvrage. Abandonne tes dernières espérances romantiques. Le poète torturé est bel et bien maudit, mais par le poids du fisc et des vautours qui s’engraissent de son talent.

La rencontre entre l’art et l’argent a renvoyé muses sur le trottoir et les pauvres ont intérêt à enchainer les clients, à vider leurs bourses, quel que soit le sens que l’on donne à cette expression.

Car c’est le thème central de l’ouvrage, entre l’artiste et son public, il y a l’argent qui conditionne leurs rapports.

Un troisième invité que l’on cherche à engraisser, au détriment de l’Art.

Tout d’abord l’artiste, trop complexe, trop humain est simplifié par les promoteurs de son art pour en devenir sa propre caricature. Pour l’enfermer bien sagement dans sa petite case, facilement manipulable et vendable par les gourous du marketing.

Car le monde est trop vaste pour un petit chanteur qui n’a pour lui que la puissance modeste de ses cordes vocales. Pour le faire connaitre à son public, il faut qu’une assemblée d’hommes d’affaire grassouillets le cigare aux lèvres investissent un paquet de billets sans âme. Qui a parlé d’art? Non la musique est une chose sérieuse, un placement financier dont on doit calculer avec minutie le retour sur investissement.

Avec l’arrivée massive de ces flux d’argent, et on l’espère la gloire et le succès à la clef, il faut bétonner les contrats. S’il n’y avait pas déjà trop de monde à gérer la carrière de l’artiste, il faut y ajouter quelques avocats pour faire bonne mesure.

S’il existe une étincelle de talent ou d’opportunité rentable. Le manager, l’éditeur, la maison de disque, l’agent, les avocats sauront bien la faire prendre. Au moins pour illuminer la scène d’un feu de paille. Quand aux artistes, qui par définition échappent à ce monde pragmatique et capitaliste, ils ne peuvent pas comprendre. Entre la misère absolue, et la fortune trop vite faite, il ne semble pas y avoir d’intermédiaire. Les rares élus qui se rapprochent du soleil aveuglant de la gloire ne profitent que pour se brûler les ailes et finir endettés à vie sous les créanciers.

Au milieu de tout ça, le livre écrit par l’un de ses innombrables vampires du show business se lit très bien. Le texte est léger, parsemé d’anecdotes croustillantes et brosse une analyse décomplexée du milieu. J’ai appris beaucoup.

Quel dommage que l’on ne parle si peu de musique...

dimanche, janvier 09, 2011

Un oiseau sous la pluie


Cela fait trop longtemps que je remets cette chronique à plus tard.
Voilà presque un an d’écoulé depuis ma lecture et je n’ai toujours pas évoqué Prière pour la pluie de Dennis Lehane. Il y a certainement une part de paresse intellectuelle ou de procrastination dans l’acte de repousser le travail au lendemain. Mais pas que…

J’ai déjà tellement dit tout le bien que je pensais de l’écrivain Bostonien, que je peine à trouver de nouveaux adjectifs pour décrire l’attraction magnétique qu’exerce son talent. Passé le Ténèbres, prenez moi la main, je pensais avoir trouvé les limites du genre. On m'avait prêté Prières pour la pluie, je décidais donc de le lire avant de le rendre. J'espérais passer un bon moment, mais ne plus être surpris. Et pourtant...
J’ai véritablement retrouvé mon auteur favori avec ce livre, il a sut une fois de plus me surprendre et m'émerveiller. Du coup, je n’ose m’attaquer à une critique de peur de ne pas lui rendre l’hommage qu’il mérite. Surtout qu’il explore à nouveau ses territoires de prédilection, les traumatismes de l’enfance comme moteurs d’une intrigue conjuguée au présent. Les personnages possèdent une telle profondeur qu’ils transcendent la réalité, que nos vies sembles pâles à côté.
Dans ce nouvel opus des aventures de Patrick Kenzie et d’Angela Gennaro, les détectives se trouvent confronté à un psychopathe d’une nouvelle envergure. Il ne s’agit pas d’un vulgaire meurtrier qui torture et découpe ses victimes selon un rituel bien établi. Non, la violence exercée par le quidam est d’ordre psychologique. La vie professionnelle et personnelle, la vie privée, les bonheurs et les espoirs des proies se trouvent anéantis pièce par pièce. Et lorsque la victime, touche enfin le fond, il ne suffit plus qu’une pichenette pour la pousser à mettre fin à ses jours.
Lorsqu’une ancienne cliente de Patrick Kenzie met fin à ses jours, il décide de creuser l’affaire. Dans ce récit on retrouve le trio habituel Patrick, Angie et l’inénarrable Bubba. Malgré l’atrocité de ces crimes sans violence physique, nos trois héros n’ont rien perdu de leur allant de leur verve. Et on se surprend entre rire et larmes à tomber amoureux de l’histoire. A regretter qu’elle se termine.
Bref, un polar noir qui repousse les limites du genre pour lui donner de nouvelles lettres de noblesse.