lundi, août 23, 2010

800 pages plus tard, un crime ou un châtiment ?

Dors sur tes deux oreilles, gentil citoyen, car le crime ne paie pas. Continue de te bercer de l’illusion collective de l’esprit des lois, construction intellectuelle qui protège et rassure. La pression des normes sur le plus grand nombre assure la stabilité de l’édifice complexe de notre société bien plus que tous ces législateurs bedonnants, que tous ces magistrats travestis par leur belle robe noire, bien plus que les basses cours de volaille bleutées.
Bien plus que les forces répressives, ce sont nos propres conditionnements qui nous remettent dans le droit chemin. La thèse du jeune Raskolnikov soutient que seuls les hommes d’exceptions ont cette force d’esprit qui les affranchis des lois des hommes, qui leur permet de considérer l’ignoble comme un simple détail d’une perspective plus grandiose.

Pour les trois du fond qui ne suivent pas, je dois préciser que je m’apprête à commenter le Crime et Châtiment de Fédor Dostoïevski. Ce n’est pas un orgueil démesuré qui me pousse au crime de critiquer un chef d’œuvre accepté comme tel par la postérité. Les lois de l’attraction terrestre me poussent à l’action, la masse des livres à commenter conjuguée à la piètre solidité de ma nouvelle étagère annonce le drame. Une illustration du poids des mots ?

Trêve de digressions, revenons au sujet de cette chronique. Le crime et le châtiment résume avec peu d’originalité le contenu de l’œuvre. Le premier tiers nous présente donc le crime. Voici Raskolnikov, jeune étudiant brillant expulsé de la bonne société par le balai de la misère qui sait si bien nettoyer nos rues et repousser dans le caniveau les moins chanceux. On change nécessairement d’avis sur nos contemporains lorsque que l’on est soumis au froid et à la faim. La condition du narrateur le libère du carcan des lois des hommes et lui offre l’opportunité de vérifier ses théories sur la grandeur d’âme.
Résumons-nous, un crime résulte de la conjonction d’une intention criminelle et de son exécution. Et Raskolnikov le prémédite avec attention son meurtre. Tout d’abord comme un jeu de l’esprit, puis petit à petit comme une potentialité, enfin comme une nécessité. Pour se prouver qu’il fait lui aussi partie de cette élite au dessus des lois et accessoirement pouvoir manger un peu, se chauffer, survivre. Il choisit sa victime avec soin, pour sa richesse, mais aussi pour son caractère. Une prêteuse sur gage acariâtre ne manquera à personne, encore moins à ses débiteurs.

Quelle que fût la pertinence de ses hypothèses, l’histoire montrera à Raskolnikov l'étendue de son erreur. La suite du roman présente donc son châtiment. On s’improvise difficilement criminel et malgré son intense préparation notre meurtrier flanche face à l’imprévu et son expédition frôle le désastre. Il ne récolte rien de son crime, pas d’argent et préfère se débarrasser des quelques objets de valeur transformées en autant d'encombrantes pièces à conviction.
La santé du narrateur vacille à mesure que sa raison sombre et qu’il s’inflige de lui-même son châtiment. Tandis que sa vie semble vouloir prendre un nouveau départ, son comportement devient lunatique et paranoïaque.
Voulant protéger son sombre secret qui lui ruine l’âme il s’affiche comme suspect et même coupable aux yeux de tous.

On vous l’aura dit, le crime de paie pas, notre esprit torturé sait se montrer plus féroce que le plus abject des bourreaux.

Ce livre, malgré son final absurde m’aura prouvé une chose. Le miroir a bien raison de me renvoyer l’image d’un intellectuel snobinard à lunettes. Parce que dit comme ça, la littérature russe du XIX ième siècle, j’aime bien. J’aime bien cette écriture simple, brutale et directe, ce sentiment de pénétrer au plus profond des pensées du narrateur. J’aime bien rester oublier les centaines ou les milliers de pages, porté par le récit. J’aime bien cette description d’une époque qui malgré les apparences ressemble si bien à la notre.

Il parait que Nabokov positionnait Dostoïevski comme une sorte de niveau zéro de la littérature, qu’il fustigeait les comportements schizophrènes de ses héros. Vrai ou pas, moi j’aime bien.