mardi, novembre 10, 2009

Noyé dans l’océan mer


Perdu dans les brumes d’un amour disparu, le poète parlait d’une terre bleue comme une orange. Non, je ne souhaite pas commenter de ma voix maladroite le génie des images de Paul Eluard. Je serais plus trivial en m’attardant sur la couleur qui donne sa beauté et ses mystères à notre petite planète. Le bleu que peuvent contempler nos cousins martiens est dû à nos déserts marins, cet Océan mer qui justifie le roman éponyme de Alessandro Baricco.
C’est un livre étrange au premier abord. Comme la mer, il se mérite et s’apprivoise. Le premier contact est houleux. L’écriture suit une lente ondulation et les expressions se répètent inlassablement. Sur la crête des vagues, la richesse du style et le goût râpeux du sel donnent la nausée. On croit qu’on n’en sortira jamais et on regrette d’avoir acheté un billet. Puis finalement on s’habitue et on commence à comprendre.

On commence à comprendre la folie de réunir ces personnages dans la pension Almayer. Entre ce peintre cherchant à saisir le portrait de la mer, ne traçant sur la toile que des lignes invisibles d’eau salée, cette petite fille trop sensible que la moindre émotion risque de tuer, ce scientifique naturaliste collectionnant les lettres d’amour pour la femme de sa vie en attendant de la rencontrer et tant d’autres portraits de personnages improbables que seule la perfection du hasard ou la volonté du démiurge peut réunir le temps d’un roman.

On commence à comprendre que derrière cette poésie rimant la fantaisie la réalité revient à la vitesse d’un cheval au galop. L’histoire avec un grand H de ce bateau échoué au large de la Mauritanie, la tragédie d’un radeau symbole du désespoir et de la déchéance immortalisé par Géricault. Contrepoint du chef d’œuvre pictural, le roman gratte couche après couche le drame dans sa crudité la plus absolue.

On commence à comprendre que le personnage principal de l’histoire ne se cache pas derrière les portraits improbables des protagonistes, que ce n’est pas le drame de la méduse, ni même la mystérieuse pension Almayer ou l’inconnu dans la septième chambre. Non le véritable personnage du roman, c’est l’Océan mer du titre.

La dernière page tournée, on se sent de nouveau mal à l’aise, une vague de nostalgie venue de nulle part nous emporte. Mystérieusement atteint par le mal des marins de retour sur la terre ferme, on rêvasse à la beauté du verbe à la saveur des mots au goût salé du style persistant dans la gorge.

A feuilleter à nouveau livre trois mois plus tard je constate que la magie est toujours là et contrairement à mes habitudes je ne résiste pas à conclure sur un extrait.
Et à présent qu’il est parti, il n’y a plus assez de temps. L’obscurité suspend tout. Il n’y a rien qui puisse dans l’obscurité devenir vrai.

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